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Romero, Eduardo Silva, Note to ICC Interim Award No. 10671, Clunet 2005, at 1275 et seq.

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Romero, Eduardo Silva, Note to ICC Interim Award No. 10671, Clunet 2005, at 1275 et seq.
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Note to ICC Interim Award No. 10671

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OBSERVATIONS. - I." - La problématique de la « Sentence intérimaire sur la compétence » rendue le 31 juillet 2000 dans l'affaire arbitrale CCI no 10671 (ci-après la « sentence ») nous invite d'abord à mettre, autant que faire se peut, les mots à leur place dans l'univers d'idées reçues de l'arbitrage commercial international (sur les mots et leur place, cf. E. Silva-Romero, Wittgenstein et la philosophie du droit : PUF, Paris, 2002, coll. Droit, éthique, société).

L'usage que la cour et le tribunal arbitral, y étant invités par les écritures et les plaidoiries des parties, ont fait du mot « compétence » serait, d'un certain point de vue, abusif.

La lecture de la sentence nous révélerait qu'aucune des parties à la procédure arbitrale n'a soulevé d'objection générale et abstraite relative à l'existence, la validité ou la portée de la convention d'arbitrage. Aucune des parties, en d'autres termes, n'aurait véritablement contesté la compétence du Tribunal arbitral. La partie défenderesse n'a pas allégué, comme d'autres défenderesses l'ont fait dans des affaires arbitrales CCI similaires (cf. sentence rendue dans l'affaire no 2626 en 1977 : JDI 1978, éd. techniques, no 4, p. 981-985, obs. Y. Derains. - sentence rendue dans l'affaire no 3640 en 1980: JDI 1981, éd. techniques, no 4, p. 939-943, obs. Y. Derains. - sentence rendue dans l'affaire no 4023 en 1984 : JDI 1984, éd. techniques, no 4, p. 950-952, obs. S. Jarvin. - CA Paris, 1re ch. av., I4févr. 1985 : Rev. arb. 1987, no 3, p. 325-334, note P. Level. - sentence rendue dans l'affaire no 5423 en 1987 : JDI 1987, éd. techniques, no 4, p. 1048-1054, obs. S. Jarvin. - sentence partielle rendue dans l'affaire no 6709 en 1991 : JDI 1992, éd. techniques, no 4, p. 998-1005, obs. D. Hascher. - CA Paris, 1er ch. av., 28 oct. 1997: Rev. arb. 1998, no 2, p. 399-47, note B. Leurent. - CCIG, Interim Award of 27 August 1999: Bull. ASA 2001, vol. 19, no 2, p. 265-275), que la convention d'arbitrage était inexistante ou nulle en raison de la dénomination incorrecte de l'institution arbitrale ou de son siège dans la clause compromissoire de l'espèce. La partie défenderesse s'est plutôt concrètement opposée à ce que la cour administre l'arbitrage et qu'un tribunal arbitral désigné par et agissant sous

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l'égide de celle-ci tranche le litige au fond. Selon elle, seulement la CCIG serait à bon droit appelée à organiser la procédure arbitrale, et un tribunal arbitral désigné par elle et agissant sous son égide serait juridiquement en mesure de trancher la controverse entre les parties.

La doctrine de l'arbitrage commercial international pourrait donc opérer une distinction entre compétence in abstracto et compétence in concreto du ou d'un tribunal arbitral.

D'un côté, la compétence in abstracto du tribunal arbitral serait contestée si l'une des parties mettait en cause l'existence, la validité ou la portée de la convention d'arbitrage. Ce serait, par exemple, le cas si l'une des parties alléguait que le litige que l'autre partie prétend soumettre à l'arbitrage n'est pas arbitrable conformément au droit applicable. En découlerait que tout tribunal arbitral agissant sous l'égide de n'importe quelle institution d'arbitrage serait en toute hypothèse incompétent pour trancher le litige et que seule une juridiction étatique pourrait s'en charger. En l'espèce, la partie défenderesse aurait soulevé une objection in abstracto à la compétence du tribunal arbitral si elle avait plaidé l'inexistence ou l'invalidité de la convention d'arbitrage sur la base du manque de précision de l'expression du consentement des parties dans celle-ci.

De l'autre, la compétence in concreto d'un Tribunal arbitral serait contestée si l'une des parties alléguait que le Tribunal arbitral désigné par une institution d'arbitrage et agissant sous son égide n'était pas compétent pour trancher le litige, mais qu'un autre Tribunal arbitral désigné autrement ou agissant sous les auspices d'une autre institution arbitrale serait tout à fait compétent pour en prendre la responsabilité. En fin de compte, une objection in concreto à la compétence d'un Tribunal arbitral poserait une question de régularité quant à la composition du Tribunal arbitral et non pas, stricto sensu, une question relative à sa compétence.

En résultent deux problèmes intéressants.

Le premier problème consiste en ce que la base juridique sur laquelle la Cour s'est saisie de la problématique proposée par la partie défenderesse n'est pas claire. L'article 6(2) du Règlement prévoit que la cour doit entreprendre un examen prima facie de la convention d'arbitrage si et seulement si (i) le défendeur ne répond pas à la demande comme il est prévu à l'article 5, ou (ii) lorsqu'une des parties soulève un ou plusieurs moyens relatifs à l'existence, à la validité ou à la portée de la convention d'arbitrage, c'est-à-dire relatifs à la compétence in abstracto du tribunal arbitral. Étant donné que l'objection de la partie défenderesse portait en l'espèce sur la compétence in concreto d'un tribunal arbitral, la cour aurait à notre avis pu se limiter à remettre le dossier au Tribunal arbitral et à lui renvoyer la problématique posée par la partie défenderesse pour résolution.

Cette solution permettrait d'éliminer le soupçon selon lequel un arbitre désigné par une institution arbitrale dont l'une des parties conteste la compétence administrative pour organiser l'arbitrage suivrait une tendance à confirmer la décision prima facie de celle-ci concluant que la dénomination de l'institution arbitrale dans la convention d'arbitrage peut bien la concerner.

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Le second problème semblerait, du moins sur le plan théorique, beaucoup plus compliqué. Nul ne paraît mettre en doute qu'une problématique telle que celle du cas d'espèce doive être examinée et décidée, du moins dans un premier temps, par un tribunal arbitral. En l'espèce, le Tribunal arbitral lui-même invoque le sacro-saint principe de la compétence-compétence afin d'examiner et de résoudre l'objection à la compétence in concreto soulevée par la partie défenderesse. Néanmoins, s'il est vrai que l'objection de la partie défenderesse porte sur la régularité de la constitution du Tribunal arbitral et non sur sa compétence, il est légitime de se poser la question de savoir si la portée du principe de la compétence-compétence recouvre ce genre d'allégation et donne au tribunal arbitral le pouvoir de s'en occuper. En Suisse, l'article 183(1) LDIP ne semble pas recouvrir le cas d'une constitution irrégulière d'un Tribunal arbitral. Cette règle précise tout simplement que « Le tribunal arbitral statue sur sa propre compétence ». En France, en revanche, l'article 1466 du nouveau Code de procédure civile semble accorder aux arbitres la possibilité de trancher tout litige relatif à la régularité de leur désignation. Cet article dispose que « Si, devant l'arbitre, l'une des parties conteste dans son principe ou son étendue le pouvoir juridictionnelle de l'arbitre, il appartient à celui-ci de statuer sur la validité ou les limites de son investiture ».

Quoi qu'il en soit, les paragraphes ci-avant n'ont qu'une valeur théorique. En effet, en l'espèce, les parties, en signant l'acte de mission sans réserve avec la question soumise au Tribunal arbitral transcrite ci-avant, ont conclu une convention d'arbitrage CCI - un compromis - dont le seul objet était formé par la mission des arbitres de trancher le litige portant sur l'objection de la partie défenderesse à leur compétence in concreto, c'est-à-dire l'objection de la partie défenderesse portant sur la régularité de la constitution du Tribunal arbitral (sur la nature et les effets juridiques de l'acte de mission, cf. E. Gaillard et al, op. cit., spéc. p. 672-674). En découle le paradoxe que, même si la partie défenderesse ne voulait pas soumettre son litige à l'arbitrage CCI, la question sur la compétence in concreto du Tribunal arbitral a été confiée par les parties à des arbitres désignés dans le cadre d'un arbitrage CCI et agissant sous l'égide de la cour et que l'organisation de la procédure arbitrale limitée à la question de la régularité de la constitution du Tribunal arbitral a été confiée à celle-ci.

II." - Il est certainement dommage que, en l'espèce, aucun différend n'ait surgi quant aux règles juridiques applicables à l'interprétation de la convention d'arbitrage pathologique controversée, les deux parties ayant fondé leurs arguments sur le droit suisse. La sentence n'apporte donc pas de nouvelles lumières quant à savoir quel devrait être le critère de rattachement prépondérant pour déterminer les règles juridiques applicables à la convention d'arbitrage, y compris son interprétation (sur la problématique des règles de droit applicables à la convention d'arbitrage, cf. H. Grigera-Naón, Choice-of-law Problems in International Commercial Arbitration : Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye, Martinus Nijhojf Publishers, 2001, t. 289, spéc, p. 39-154).

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Malgré cette absence de controverse à l'égard du droit applicable, le Tribunal arbitral commence néanmoins par souligner que le droit suisse s'applique à l'interprétation de la convention d'arbitrage en l'espèce du fait de deux critères de rattachement, à savoir (i) le droit choisi par les parties comme droit applicable au contrat comprenant la clause compromissoire en question, le droit suisse, et (ii) le siège de l'arbitrage, Genève, Suisse. Toutefois, le Tribunal arbitral ne souligne pas, car il n'en a pas besoin, lequel de ces critères devrait être prépondérant.

L'un des principaux intérêts théoriques de la sentence résulte paradoxalement du fait que le Tribunal arbitral a considéré que raisonner exclusivement d'après le droit suisse n'était pas suffisant et a ressenti le besoin d'avoir recours, et ce même si les parties n'ont pas présentés des arguments sur cette base, à la « jurisprudence arbitrale » (une décision récente sur la compétence du Tribunal arbitral dans une affaire CIRDI nous invite à mettre le mot « jurisprudence » entre guillemets. En effet, le Tribunal arbitral dans cette affaire affirme, au paragraphe 97 de sa décision, que « [...] This raises a question whether, nonetheless, the present Tribunal should defer to the answers given by the SGS vs Pakistan Tribunal The ICSID Convention provides only that awards rendered under it are « binding on the parties » (Article 53(1)), a provision which might be regarded as directed to the res judicata effect of awards rather than their impact as precedents in later cases. In the Tribunals view, although different tribunals constituted under the ICSID system should in general seek to act consistently with each other, in the end it must be for each tribunal to exercise its competence in accordance with the applicable law, which will by definition be different for each BIT and each Respondent State. Moreover there is no doctrine of precedent in international law, if by precedent is meant a rule of the binding effect of a single decision. There is no hierarchy of international tribunals, and even if there were, there is no good reason for allowing the first tribunal in time to resolve issues for all later tribunals. It must be initially for the control mechanisms provided for under the BIT and the ICSID Convention, and in the longer term for the development of a common legal opinion or jurisprudence constante, to resolve the difficult legal questions discussed by the SGS v. Pakistan Tribunal and also in the present decision », (International Centre for the Settlement of Investment Disputes, Washington D.C., case no ARB/02/6, «SGS Société Générale de Surveillance SA (Claimant) vs Republic of the Philippines (Respondent) » (ci-après l'affaire SGS vs Philippines) : Decision of the Tribunal on Objections to Jurisdiction dated 29 January 2004, p. 37, disponible sur le site Internet du CIRDI, www.worlbank.org/icsid), à une certaine jurisprudence des cours étatiques françaises (cf. CA Paris, 1re ch. civ., 28 oct. 1997, Sté Procédés de préfabrication pour le béton c/ Libye : Rev. arb. 1998, no 2, p. 399-407, note B. Leurent). Selon la Cour d'appel de Paris, la clause prévoyant « l'arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Genève » ne peut être interprétée que comme désignant la CCI de Paris comme organisatrice de l'arbitrage, et Genève comme siège et même à la doctrine - notamment à l'article écrit par Pierre Karrer sur les conventions d'arbitrage pathologiques.

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La Sentence contredit la position de ceux qui, suivant une perspective assez stricte (cf. la décision citée ci-avant dans l'affaire SGS vs Philippines), ne croient pas à l'existence d'une « jurisprudence arbitrale ». En l'espèce, le Tribunal arbitral analyse maintes sentences arbitrales portant sur la même question ou sur des questions similaires à celle qui lui est posée et, en utilisant la méthode anglo-saxonne du distinguishing, tient à définir les différences et ressemblances entre le cas qui lui a été confié et ceux examinés par d'autres tribunaux arbitraux avant lui. Force est donc de constater que, même si aucun tribunal arbitral n'est en principe obligé de faire sienne la décision d'un autre tribunal arbitral ayant décidé la même question ou une question similaire avant lui, certains tribunaux arbitraux apprécient et évaluent très sérieusement ce que d'autres tribunaux arbitraux ont précédemment dit. C'est dans ce sens qu'Yves Derains a bien identifié l'existence d'une « jurisprudence arbitrale CCI » (cf. Y. Derains, L'obligation de minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale in Revue de droit des affaires internationales: LGDJ 1987, Paris, no4, p. 375-382, spec, p. 376 ; Les tendances de la jurisprudence arbitrale internationale : ]DI 1993, éd. techniques, no 4, p. 829-855, spéc. p. 829-831).

En l'espèce, néanmoins, l'exercice du distinguishing nous démontre, avant tout, que chaque affaire est véritablement unique. Sa décision dépendra toujours de la rédaction particulière du contrat et de la convention d'arbitrage, des arguments soulevés par les parties et des règles de droit applicables. C'est le caractère unique de chaque affaire qui expliquerait, parmi d'autres choses, que, dans une affaire où la clause compromissoire faisait référence à la Chambre de Commerce Internationale de Genève sans déterminer dans un autre alinéa le siège de l'arbitrage, un arbitre unique suisse agissant sous les auspices de la CCIG ait donné, sur la base des déclarations des témoins présentés par les parties, plus d'importance au mot « Genève » qu'au mot « Internationale » et ait ainsi décidé que sa désignation par la CCIG était régulière et que la CCIG possédait compétence administrative pour organiser la procédure arbitrale (sf. sentence du 24 novembre 1999, cas CCIG no 151, Arbitre unique : Paolo Michèle Patoc-chi : Bull. ASA 2003, vol. 21, no 4, p. 754-780- www.kluwerarbitration.com). Il est intéressant de noter que le Tribunal arbitral n'a pas considéré nécessaire de se référer à des principes d'interprétation contractuelle appartenant à la lex mercatoria telle qu'exprimée par la « jurisprudence arbitrale », à savoir, par exemple, le principe d'interprétation de bonne foi et le principe de l'effet utile (sur ces principes, cf. E. Gaillard et al, op. cit., spec. p. 254-262).

III." - Malgré les références à la « jurisprudence arbitrale » et à la doctrine, la motivation de la Sentence n'est véritablement que l'application aux faits de l'espèce des deux méthodes d'interprétation des contrats citées par la partie défenderesse dans ses écritures, à savoir la méthode subjective et la méthode objective.

L'un des motifs donnés par le Tribunal arbitral échappe néanmoins à l'application de la méthode subjective. En effet, le Tribunal arbitral commence son raisonnement par préciser, sans se poser la question de savoir quelle a été la volonté réelle des parties à cet égard, que, étant donné que la question du siège de

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l'arbitrage se trouve réglée à l'alinéa 2 de la convention d'arbitrage, la référence à Genève du premier alinéa ne peut pas concerner le siège de l'arbitrage. La mention de Genève dans le premier alinéa de la clause compromissoire serait inexorablement liée à l'institution d'arbitrage. Le Tribunal arbitral aurait pu se demander si, du fait du va-et-vient des négociations contractuelles, les deux références à Genève visaient à déterminer le siège de l'arbitrage. Il aurait également pu considérer que la référence à Genève dans le premier alinéa de la clause compromissoire visait, comme d'autres tribunaux arbitraux l'ont considéré (cf. sentence rendue dans l'affaire no 2626 en 1977 :JDI 1978, p. 981-985, obs. Y. Derains), le Comité national suisse de la CCI. En toute justice, il faut quand bien même souligner qu'aucune des parties n'a soulevé des tels arguments.

Le Tribunal arbitral conclut donc avec raison que les parties se sont trompées lors de la rédaction de la clause compromissoire. Ainsi le Tribunal arbitral précise-t-il très bien que « La question se limite par conséquent à savoir si les parties se sont trompées sur la dénomination de la Chambre de commerce et d'industrie de Genève, dont elles ont pensé qu'elle comportait le mot International, ou si elles ont erré quant à la localisation de la Chambre de commerce internationale, pensant que celle-ci avait à Genève son siège, voire un siège secondaire ». C'est d'ailleurs dans les mêmes termes que l'arbitre unique suisse définit la problématique dans la sentence arbitrale où il est arrivé à la conclusion inverse de celle du Tribunal arbitral de l'affaire CCI no 10671 (cf. sentence du 24 novembre 1999, cas CCIG no 151, op. cit., spec. § 80 et 81).

L'article 18, alinéa 1, du Code suisse des obligations consacre expressément la méthode dite subjective d'interprétation des contrats. Cette règle dispose que, « Pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention ». Selon cette méthode, le Tribunal arbitral écarte deux arguments proposés par les parties.

D'une part, le Tribunal arbitral, avec raison, conclut que les liens des parties avec Genève ne sauraient à eux seuls indiquer que l'institution arbitrale choisie par les parties était la CCIG. « Les arbitrages CCI avec siège à Genève sont en effet légion ». En découle, cependant, une contradiction dans le raisonnement du Tribunal arbitral. En effet, les liens des parties avec Genève se refléteraient parmi d'autres dans l'expression du premier alinéa de la clause compromissoire, c'est-à-dire dans la phrase « International Chamber of Commerce of Geneva ». Néanmoins, le Tribunal arbitral soutient par ailleurs que cette référence ne peut pas viser le siège de l'arbitrage étant donné que le deuxième alinéa de la clause compromissoire règle cette question.

D'autre part, le Tribunal arbitral semblerait écarter également l'argument de la partie demanderesse selon lequel les parties n'auraient pu se mettre d'accord sur l'application du Règlement d'arbitrage de la CCIG car celui-ci n'était pas en vigueur au moment des négociations contractuelles. Néanmoins, le Tribunal arbitral, faisant application de la méthode subjective d'interprétation des

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contrats en droit suisse et tenant donc compte des qualités des parties contractantes, affirme dans sa sentence qu'« On doit cependant souligner que les auteurs de la clause, qui étaient apparemment des organes ou employés de [la partie défenderesse] à Lugano, n'appartenaient à l'évidence pas aux milieux de l'arbitrage, à en juger par la rédaction de la clause pathologique, et encore moins aux milieux genevois de l'arbitrage. De sorte que si leur connaissance du nouveau Règlement de la CCIG n'est pas exclue, elle ne saurait être présumée. Deux arguments de texte tendent d'ailleurs à exclure une telle connaissance : d'une part, l'intitulé inexact du Règlement et de l'institution qui l'a élaboré ; d'autre part, le fait que, compte tenu de la nouveauté de ce texte qui n'était pas encore en vigueur, on se serait attendu à ce que les rédacteurs du contrat soient plus précis dans sa désignation ». Force est cependant de constater que le Tribunal arbitral considère que, à l'égard de l'argument ci-avant, l'application de la méthode subjective d'interprétation contractuelle s'avère insuffisante et a par conséquent recours à la méthode objective d'interprétation des contrats qui, de l'avis du Tribunal arbitral, coïnciderait en droit suisse avec l'analyse du langage utilisé dans la convention d'arbitrage. Il est à noter que l'analyse des qualités des négociateurs du contrat met à notre avis en évidence que la plupart des arguments des parties sur la pathologie de la convention d'arbitrage étaient élaborés pour l'arbitrage (made-for-the-arbitration arguments) et ne sauraient correspondre à la réalité des négociations contractuelles.

La méthode objective d'interprétation contractuelle aurait une origine prétorienne en droit suisse. Selon le Tribunal arbitral, « Le Tribunal arbitral n'a donc d'autre solution que d'interpréter le contrat sur la base de son seul texte, en se demandant comment celui-ci pouvait et devait être compris par des parties présumées honnêtes, raisonnables et de bonne foi (V. P. Engel : Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., Berne, 1997, p. 237), ce qui rejoint la notion d'interprétation objective à laquelle recourt le Tribunal fédéral (notamment SJ 1996, p. 549, 552-553) ». Sur la base de cette seconde méthode d'interprétation contractuelle, le Tribunal arbitral élabore trois arguments qui lui permettent de conclure au rejet de l'objection soulevée par la partie défenderesse.

Tout d'abord, le Tribunal arbitral examine la dénomination du règlement d'arbitrage applicable et arrive à la conclusion que celle-ci fait nécessairement référence à la CCI. Cette conclusion nous semble incontestable.

Ensuite, par référence à la « jurisprudence arbitrale de la CCI », le Tribunal arbitral constate que l'expression CCI à Genève ou à Zurich a été interprétée par d'autres tribunaux arbitraux CCI comme spécifiant que la CCI est censée administrer l'arbitrage, et le siège de l'arbitrage est Genève ou Zurich (cf. sentence rendue dans l'affaire no 2626 en 1977 : JDI1978, no 4, p. 981-984, obs. Y. Derains. - sentence rendue dans l'affaire no 3460 en 1980 : JDI 1981, p. 939-943, obs. Y. Derains. - sentence rendue dans l'affaire no 4023 en 1984 : JDI 1984, p. 950-952, obs. S. Jarvin. - sentence finale dans l'affaire no 5294 en 1988, S. Jarvin, Y. Derains et J.-J. Arnaldez : Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1986-1990, ICC Publishing, 1994, p. 180-189, spec. p. 182-183. -sentence partielle dans l'affaire no 7920 en 1993, J.-J. Arnaldez, Y. derains et D. Has-

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cher : Recueil des sentences arbitrales de la CCI 1996-2000 : ICC Publishing, 2003, p. 227-231. - CA Paris, 1re ch. civ., 28 oct. 1997: Rev. arb. 1998, no 2, p. 399-407 note B. Leurent). Il constate également que, dans la plupart de ces affaires, la convention d'arbitrage ne comprenait pas un deuxième alinéa spécifiant le lieu de l'arbitrage. C'est la raison pour laquelle le Tribunal arbitral se réfère très spécialement à la sentence CCI no 2626 : « Une sentence de 1977 (no 2626: Recueil des sentences 1974-1985, p. 316 et 317) a également admis l'existence d'une clause en faveur de la CCI dans le cas d'une référence à I'« International Chamber of Commerce in Geneva » alors que le siège de l'arbitrage était fixé à Essen. Comme dans le présent cas, la mention de Genève ne pouvait désigner le siège, mais servait uniquement à qualifier l'institution. L'arbitre relève : « la désignation incorrecte du siège n'altère pas l'intention des parties, qui apparaît clairement, d'attribuer compétence à la Cour d'Arbitrage de la CCI de Paris » ». En définitive, la sentence no 2626 serait le seul véritable « précédent » auquel le Tribunal arbitral pourrait se référer.

Enfin, le Tribunal arbitral montre que des tribunaux arbitraux agissant sous l'égide de la CCIG ou de la Chambre de commerce de Zurich (ci-après « ZHK ») ont considéré que le mot « international » n'était pas suffisant pour écarter la compétence administrative de ces deux institutions arbitrales. Le Tribunal arbitral constate néanmoins que la terminologie utilisée dans les conventions d'arbitrage dans les affaires administrées par la CCIG et la ZHK n'était pas la même que celle utilisée dans le cas d'espèce (distinguishing) et arrive à la conclusion que la cour est compétente pour administrer la procédure arbitrale et que le Tribunal arbitral a été formé régulièrement. Un lecteur avisé pourrait soutenir que les décisions des tribunaux arbitraux dans les cas similaires au cas d'espèce dépendent considérablement de l'institution arbitrale qui a été saisie.

IV." - La décision du Tribunal arbitral quant aux frais de la phase juridictionnelle de la procédure arbitrale mérite, en dernier lieu, deux observations critiques.

D'une part, le Tribunal arbitral décide que la partie défenderesse doit supporter les frais de la procédure liée à la phase juridictionnelle sur la base d'un « usage » selon lequel la partie qui succombe devrait supporter les frais de l'arbitrage. L'existence de cet « usage » semble pour le moins très douteuse. L'examen de la « jurisprudence arbitrale CCI » nous révèle plutôt que les arbitres CCI jouissent d'une totale discrétion dans la prise de leur décision à l'égard de la répartition des frais de la procédure arbitrale entre les parties (cf. sentence finale rendue dans l'affaire no 5285 en 1989 : Bull. CCI 1993, Cour internationale d'arbitrage, ICC Publishing, vol. 4, no 1, p. 37. - sentence finale rendue dans l'affaire no 5726 : Bull. CCI 1993, Cour internationale d'arbitrage, ICC Publishing, vol. 4, no 1, p. 39. - sentence finale rendue dans l'affaire no 5896 en 1992 : Bull CCI 1993, Cour internationale d'arbitrage, ICC Publishing, vol. 4, no 1, p. 40. - sentence finale dans l'affaire no 5987 en 1990 : Bull CCI 1993, Cour internationale d'arbitrage, ICC Publishing, vol. 4, no 1, p. 43. - sentence finale rendue dans l'affaire no 6293 : Bull CCI 1993, Cour internationale

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d'arbitrage, ICC Publishing, vol. 4, no 1, p. 46. - sentence finale rendue dans l'affaire no 7006 en 1992 : Bull CCI 1993, Cour internationale d'arbitrage, ICC Publishing, vol. 4, no 1, p. 58). Ainsi 1'« usage » en matière de répartition de frais de la procédure arbitrale CCI, s'il en existe un, serait-il plutôt que les arbitres distribuent librement ces frais entre les parties.

D'autre part, la décision quant aux frais du Tribunal arbitral semblerait porter sur tous les frais de la procédure (frais de l'arbitrage - honoraires, frais des arbitres et frais de la CCI - et frais d'avocat) et non pas seulement sur les frais d'avocat. Un lecteur avisé pourrait également s'interroger sur la légitimité de cette décision à la lumière de la disposition de l'article 31(2), in fine, du Règlement qui dispose que, « À tout moment de la procédure, la tribunal arbitral peut prendre des décisions sur des frais autres que ceux fixés par la Cour ».

Somme toute, la Sentence nous montre encore une fois que les mots ne sauraient être examinés et utilisés en droit d'une manière abstraite, c'est-à-dire isolée des affaires concrètes auxquelles ils sont censés s'appliquer. Le sens des mots juridiques dépend de leur usage dans le langage de chaque espèce. C'était sans doute en ce sens que Ludwig Wittgenstein disait que, « pour une large classe de cas où l'on use du mot « signification » - sinon pour tous les cas de son usage - on peut expliquer ce mot de la façon suivante : la signification d'un mot est son usage dans le langage [...] » (L. Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus suivi de Investigations Philosophiques, traduit de l'allemand par Pierre Klossowski : Gallimard, coll. Tel, 1993, proposition 43, p. 135).

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