This page uses so called "cookies" to improve its service (i.e. "tracking"). Learn more and opt out of tracking
I agree

Derains, Yves, note to ICC Award No. 2730, Clunet 1984, at 918 et seq.

Title
Derains, Yves, note to ICC Award No. 2730, Clunet 1984, at 918 et seq.
Permission Text
Excerpts from this document are included in TransLex by kind permission of the editor.
Table of Contents
Content
918

OBSERVATIONS

I. - Comme dans l'affaire nº 3742 (Cf. p. 910) la sentence ici rapportée n'estime pas nécessaire de choisir un système de droit international privé plutôt qu'un autre. Mais, de façon plus conforme à la jurisprudence arbitrale internationale elle affirme que « le Tribunal arbitral jouit donc d'un large pouvoir d'appréciation dans le choix du droit applicable » sans faire référence à des pouvoirs d'amiables compositeurs que de toutes façons le Tribunal arbitral n'avait pas.

Du point de vue de la méthode suivie en pratique, dans la détermination du droit applicable, cette sentence se rattache à la fois à deux des grandes tendances de la jurisprudence arbitrale internationale (Cf. sur ces tendances, Pierre Lalive, « les règles de conflit de lois appliquées au fond du litige par l'arbitre international siégeant en Suisse » : Rev. Arb. 1976, p. 155). D'une part, l'application cumulative des systèmes de conflit de lois intéressés au litige ; d'autre part, le recours aux principes généraux du droit international privé.

L'application cumulative des systèmes de conflit de lois intéressés au litige consiste pour les arbitres à se référer successivement aux systèmes de conflit de lois de chacun des Etats qui sont en contact avec l'arbitrage (Cf. Y. Derains, « L'application par l'arbitre des systèmes de conflit de lois intéressés au litige » : Rev. Arb. 1972, p. 118 s.). Si ces systèmes convergent vers l'application de la loi d'un même pays, cette loi est déclarée applicable par les arbitres. Dans la détermination de ce qu'il faut entendre par systèmes de conflit de lois intéressés, les arbitres se divisent en deux sous-tendances : les uns se contentent de consulter le système de conflit des Etats dont les parties au litige sont ressortissantes ; les autres y ajoutent le système de conflit de lois du lieu de l'arbitrage (Cf. Y. Derains, op. cit. loc. cit.). C'est à cette seconde sous-tendance qu'appartient le Tribunal arbitral qui a rendu la sentence ici rapportée puisqu'il ne consulte pas seulement les règles de conflit de lois suisses et yougoslaves, mais également les règles de conflit de lois françaises.

Cependant, l'application cumulative des systèmes de conflit de lois intéressés au litige est utilisée par le tribunal arbitral pour mettre en lumière ce qu'il semble considérer comme un principe général du droit international privé : l'application du droit dans lequel le « centre de gravité » du contrat est localisé. (On rapprochera cette solution de celle de la sentence rendue en 1978 dans l'affaire nº 3043 : Clunet 1979, p. 1000).

On remarquera également la référence que fait la sentence à la Convention de Rome du 19 juin 1980 bien qu'elle ne saurait être applicable en l'espèce. Selon une démarche déjà rencontrée dans la jurisprudence arbitrale internationale (Cf. par exemple la sentence rendue en 1971 dans l'affaire nº 1717 : Clunet 1974, p. 890) les arbitres voient dans la convention, indépendamment de son applicabilité, le reflet des solutions les plus communément admises au plan international au moment 919 où ils statuent. Le rôle joué dans le passé par la convention de la Haye du 15 juin 1955 sur ce plan est maintenant repris par la convention de Rome.

Il s'agit finalement pour les arbitres de montrer aux parties que la solution qu'ils adoptent est une solution de portée internationale et dont l'application correspond nécessairement à leur attente légitime.

[...]

920

[...]

III. - La communauté internationale des milieux d'affaires réprouve les pratiques d'exaction et de corruption dans les transactions internationales. La mise au point en 1977 par la Chambre de Commerce Internationale, organisation internationale des milieux d'affaires « de règles de conduites pour combattre l'exaction et la corruption » et la création par cette organisation d'un conseil international contre « la corruption dans les transactions internationales », illustre cette attitude générale (Cf. Publication CCI nº 315).

Les arbitres intervenant sous l'égide de la Cour d'arbitrage de la Chambre de Commerce internationale tiennent également à manifester leur opposition à des pratiques incompatibles avec la morale des affaires et qui faussent le jeu de la concurrence. Cette sentence, comme celle rendue dans l'affaire nº 3916 (supra, p. 930) le confirme. Il en allait de même d'une sentence rendue en 1981 dans l'affaire nº 3913.

Les relations de faits et de droit sur lesquelles les arbitres étaient appelés à se prononcer étaient les suivantes : une entreprise française avait chargé une entreprise britannique de lui apporter son concours, contre rémunération, dans l'obtention de marchés à conclure avec le gouvernement d'un pays d'Afrique. Les arbitres étaient saisis de difficultés relatives au versement des commissions découlant de cet accord., Ils le considérèrent comme illicite dans les termes repris ci-après :

Par ce contrat, (l'entreprise britannique) s'engageait à fournir à (l'entreprise française) un certain nombre de services consistant en l'apport de toutes les informations et aides voulues pour faciliter au maximum l'action de (l'entreprise française) en vue de l'obtention du marché de..., de la négociation proprement dite - l'assistance de (l'entreprise britannique) devant alors être fournie tant « vis-à-vis du client que des autorités (du pays d'Afrique) ou de toute autre personne ou entité appelée à intervenir lors des discussions techniques et commerciales préliminaires » - et enfin de l'exécution du marché qui serait conclu entre (l'entreprise française) et le client.

En contrepartie, (l'entreprise française) s'engageait à verser à (l'entreprise britannique), sous des conditions dont il n'y a pas lieu - pour le moment - de se demander si elles ont ou non été remplies, une rémunération de 8 % dont l'assiette était égale au montant du marché qui serait passé, à l'exclusion et/ou sous déduction de certaines fournitures et prestations comprises dans ce marché.

Si l'on s'en tient à la seule lettre du contrat, il n'apparaît pas que le but immédiat des obligations qu'il régit ait été illicite ou immoral.

Mais il apparaît de certaines pièces produites au débat, de certaines déclarations des représentants de parties ou de témoins, que ces obligations avaient une cause impulsive et déterminante différente de celle qui ressort de la simple lecture littérale de la convention.

Lors de son audition le ... (un témoin) a en effet, déclaré que la commission prévue dans le contrat... était « destinée à la rémunération des contreparties (africaines) »... (Suivent d'autres témoignages en ce sens)...

921

... Il ressort à l'évidence de ce qui précède que (l'entreprise britannique) devait remplir l'office d'un intermédiaire financier, recevant une certaine somme d'argent qu'elle redistribuerait aux membres d'une filière composée de responsables locaux dont les « positions » permettaient de penser qu'ils étaient susceptibles de concourir favorablement à l'attribution à (l'entreprise française) du marché de ... En d'autres termes, la commission stipulée au profit de (l'entreprise britannique) devait servir à payer ce qu'il est convenu d'appeler communément des « pots-de-vin ». Le versement de « pots-de-vin » par (l'entreprise britannique) est la cause de l'engagement souscrit par (l'entreprise française)...

Une telle cause est, en droit français, illicite et immorale.

Indépendamment des dispositions pénales relatives au délit de corruption active, une jurisprudence civile constante, dont l'origine est ancienne a fermement posé en principe, par application des articles 6, 1108, 1131 et 1133 du Code Civil, que les conventions qui tendent à introduire la vénalité et la corruption au sein des administrations publiques ne sauraient obtenir la sanction de la justice.

Plus spécialement a-t-il été ainsi jugé, s'agissant de la rémunération occulte de démarches faites en vue d'obtenir l'approbation d'un marché par un service public relevant d'une puissance étrangère (Cass. Req., 15 mars 1911, D.P. 1911, 1, 382 ; Cass. Com., 7 mars 1961, Bull. Civ., III, 112).

Cette solution n'est pas seulement conforme à l'ordre public français interne, elle résulte également de la conception de l'ordre public international tel que la plupart des nations le reconnaît.

Si de telles pratiques ont pu être constatées dans certains pays, il est patent, néanmoins, que la communauté internationale des affaires et la plupart des gouvernements s'opposent à toute pratique corruptive. La Chambre de Commerce Internationale, entre autres, a établi des « Règles de conduite pour combattre l'exaction » et créé un Conseil International contre la corruption dans les transactions internationales, chargé notamment de suivre en permanence l'application de ces règles par les entreprises (Cf. : « L'exaction et la corruption dans les transactions commerciales », rapport adopté par la 131e session du Conseil de la Chambre de Commerce Internationale, 29 novembre 1977).

Il n'est pas sans intérêt de noter que la reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale qui méconnaîtrait ces principes pourraient être, selon la Convention de New York du 10 juin 1958 (article 5, § 2, a et b), refusées d'office par l'autorité judiciaire du pays où elles seraient demandées.

Ayant constaté l'illicéité de la cause de l'obligation de (l'entreprise française), le Tribunal doit encore répondre à la question de savoir si les parties ont contracté en toute connaissance de cette illicéité.

Cela ne fait aucun doute ...

... Des constatations qui viennent d'être relatées, il résulte que la convention liant (l'entreprise britannique) à (l'entreprise française) a une cause illicite, que - pour cette raison - elle est nulle et de nul effet et qu'en conséquence elle rend les parties mal fondées à s'en prévaloir pour exiger tant son exécution que la réparation du préjudice pouvant résulter de son inexécution, de même que la prise en compte, ou le cas échéant, la restitution, des sommes payées ou des avances faites pour son exécution ».

Et le Tribunal arbitral d'en conclure que les demandes qui s'appuient sur ce contrat nul sont irrecevables.

Les arbitres du commerce international manifestent donc une réprobation constante vis-à-vis des accords recouvrant des pratiques de corruption. Il y a cependant une évolution sensible entre l'attitude reflétée par la sentence rendue en 1963 dans l'affaire nº 1110 qui consistait à considérer la matière non arbitrable, comme 922 contraire à l'ordre public, qu'il s'agisse d'ordres publics internes ou de l'ordre public international, et celle qui consiste à constater la nullité du contrat, que révèlent les sentences plus récentes. Le fait que les arbitres de la C.C.I. ne soient pas tenus de respecter les précédents - ils n'ont d'ailleurs pas connaissance des sentences rendues par leurs collègues - pourrait conduire à penser qu'il s'agit plus d'une approche différente que d'une évolution, si cette évolution ne s'affirmait pas également dans des domaines autres que l'exaction ou la corruption. Il faut y voir en réalité la conséquence d'une conviction maintenant bien établie des arbitres du commerce international qu'il ne suffit pas qu'un contrat soit contraire à l'ordre public pour les priver de leur compétence. Cette conviction s'affiche, par exemple, dans le domaine du droit de la concurrence (Cf. sur ce point Y. Derains, « Arbitrage et Droit de la Concurrence » in Revue Suisse du Droit International de la Concurrence, février 1982, p. 51 in fine, d'où il ressort qu'en 1978 un arbitre ne cherche plus à justifier sa compétence à examiner la validité d'un contrat au regard de l'ordre public de la C.E.E., alors qu'en 1966, un arbitre statuant dans une cause semblable, s'entourait de précautions avant de se déclarer compétent). Au contraire, les arbitres sont de plus en plus convaincus qu'il leur appartient de sanctionner eux-mêmes les violations de l'ordre public, et en particulier de l'ordre public international dont ils sont les gardiens naturels.

Referring Principles
A project of CENTRAL, University of Cologne.